Il est tard dans la nuit. Pas un bruit. Des lumières filtrent à travers les fenêtres du bâtiment.
Bon, ton nom ? Demande un homme en uniforme
O'Bundrige. C'est irelandais. répondit le délinquant.
M'en tape. Prénom ? Continua l'homme, sans être ému plus que cela.
J'en ai deux. Je donne lequel ? Demanda l'autre en toute innocence.
Prénoms? S'impatienta le policier.
Liam. Et Michael. Mais Liam d'abord. Michael, c'est mon deuxième pré-
Je m'en fout, j'ai dit ! L'homme était crispé. Face à lui, le jeune homme ne semblait pas se rendre compte de la situation dans laquelle il s'était fourrée. Il le regardait avec ses grands yeux translucides. Il n'avait pas peur, il n'avait pas de colère dans le regard, il avait une attitude lâche et calme. C'était presque difficile de se persuader qu'on n'avait pas rêvé la drame qui avait été commis quelques heures auparavant, en le voyant maintenant.
Ton âge ! L'homme se concentra sur sa feuille, pour essayer d'oublier que l'agneau qu'il avait en face de lui cachait un lion.
J'ai 24 ans. Tout rond ! Quoi que en fait non. Y'a quelques jours en plus. Je crois, enfin je n'ai pas compté vous savez et puis.... Il ferma aussitôt la bouche lorsque l'homme en face le fusilla du regard. Un doigt sur les lèvres, il se fit tout petit dans son fauteuil, et s'excusa en silence.

Un peu calmé, l'homme continua à gribouiller les pages de son rapport. Quel bavard ce mec franchement ! Mais bon, si parler l'empêchait de recommencer ces horreurs, pourquoi pas. En tout cas, lui, en tant que représentant des forces de l'ordre, il savait se défendre, on lui avait appris. Il avait une arme et des techniques de défense aussi. Et des réflexes. Mais en réfléchissant deux secondes, il se demanda si tout ce qu'on lui avait appris compterait s'il devait se faire agresser par ce faux gentil.
Il gribouilla quelques lignes pour décrire son interlocuteur. Assez grand, athlétique, oui. Vu l'agilité dont il avait fait preuve, c'était le minimum à indiquer. Blond, les yeux clairs. Il faudrait qu'il prenne ses empreintes tout à l'heure. Et une photo de face et de profil. Il était pas vilain, comme type en plus, ce petit gars. On aurait presque dit son fils, en un peu plus vieux, il n'avait que dix-sept ans, son fils. Et il espérait, il priait pour qu'il ne tourne pas aussi mal que ce spécimen-là.

Soudain, un bruit très sonore résonna entre les murs. Surpris, le flic leva les yeux vers Liam, puisque c'était son nom et qu'il semblait y tenir. Alors qu'il voulait capter son regard, il se rendit compte que le bruit, en fait, venait du garçon. Il avait fermé les yeux, et tout cassé dans son fauteuil, il s'était tout simplement endormi, et ronflait bruyamment. Passablement énervé, il donna un violent coup de pied dans la chaise, lui infligeant un brusque mouvement de recul. Pris en flag, l'endormi se réveilla en sursaut, et avec des petits yeux endormis, il cligna des yeux avant de comprendre ce qui venait de lui arriver. Il bailla à s'en décrocher la mâchoire, et retomba dans son siège. « On peut se dépêcher, j'ai faim moi! » et pour le soutenir, son estomac grogna en même temps. Le policier, dont la plaque indiquait le nom 'Dwight' fit la moue, et tira son tiroir. De là, il tira une boite de bonbons à la menthe pour la gorge. Liam fixa la boite, puis l'homme, puis la boite, puis l'homme encore une fois. « Mon pauvre... Vous avez que du sucre ? Y'a pas autre chose ? Je suis pas fan de sucre, vous savez... J'aurais préféré du s- » alors que la suite de la phrase était connue des deux, M. Dwight avait violemment abattu son poing sur la table, et foudroyait encore son vis-à-vis du regard. « Taggle! » Tonna-t-il. Ca le répugnait encore; rien que d'y penser. « Ben quoi ? » demanda le jeune délinquant sans comprendre. Ou bien faisait-il semblant ?

Le flic avait vu beaucoup de choses dans sa vie. Beaucoup de belles choses, mais aussi énormément de choses moches. Et là, il avait presque des haut-le-cœur rien que de repenser à cette pauvre fille. Il posa lentement son crayon sur la table, et doucement, s'accouda à elle, en croisant ses mains devant son nez. De là, il étudia attentivement cet énergumène, qui levait le nez au plafond comme s'il cherchait une mouche perdue dans les néons. Il avait l'air d'un gamin attardé là. Mais tout à l'heure, il avait failli lui tirer dessus. Tout à l'heure, le jeune était en train de boire sa victime ! Et pourtant, malgré qu'il ne l'ait pas quitté des yeux un seul instant... Ses yeux étaient bleus ! Avec des reflets verts. Mais à aucun moment, il n'avait eu ne serait-ce qu'une nuance de rouge ou de bordeaux ou d'autre couleur dans ces eaux-là. Jamais !

A bout de nerfs, et surtout pour essayer de s'occuper l'esprit, au lieu de sauter sur la gamin, le policier posa juste la question qui lui trottait dans la tête. « T'es quoi au juste ? » Le jeune tourna son regard interloqué vers lui, sans répondre. « Bordel ! T'as tué combien de personnes, hein ? Combien de fois t'as osé tuer des gens pour boire leur sang ? T'es un foutu vampire, avoue ! » sa colère et son dégout perçaient dans sa voix. Il était presque incapable de se retenir de trembler d'horreur devant cet individu. Et cet individu, justement, qui s'asseyait si mal dans sa chaise, comme un adolescent en pleine rébellion avec ses parents, apparu soudain un peu plus vieux, et avec tout le sérieux du monde, expliqua son cas si unique. « Mais je ne suis pas un vampire, Dwight. » L'homme tressailli lorsque son nom franchit les lèvres de l'irlandias, son accent était horrible, et l'entendre parler pour dire son nom le crispait. Mais le jeune ne se laissa pas distraire. «  Je ne suis pas un vampire, mais je pense que suivant tes critères, je ne suis plus humain non plus. J'ai été élevé comme un vampire, et leur vie m'est plus familière que la tienne. Tu ne comprendrais jamais, quand bien même je prenais des années pour t'expliquer. Si tu me tires dessus je mourrai. Si tu veux me tuer, tu as mille et une façon d'y arriver, je suis aussi mortel que moi. Je suis juste... Différent. » La lueur dans ses yeux , tout au fond, persuadait qu'il ne mentait pas. Il était effectivement différent. Un humain qui boit du sang, ça se voyait déjà, avec le sang de vampire, et toutes ces choses... Mais un humain qui boit du sang d'humain, directement à leur gorge... l'imaginer encore une fois se sustenter au cou d'une victime glaçait le sang de l'homme de loi. Il l'étudia, il l'imagina avec mille victime. Il imagina un tas de corps exsangues, et lui, cet humain dégénéré, qui se prenait pour un vampire, avec ses yeux bleus qui reflétaient la lumière d'une lune. Des yeux bleus, des yeux humains ! Il ne comprenait décidément pas ce qui passait par la tête de ce sociopathe.

Aucun n'avait bougé. De longues secondes s'étaient écoulés, sans que le flic, accoudé à sa table, ou Liam posé au fond de son siège ne bouge. Un sourire carnassier et malin étira ses lèvres à un moment, et le réflexe de Dwight fut de porter sa main à son arme de service. Mais le visage de Liam s'adoucit instantanément, et son sourire gentil et aimable avait remplacé l'impression malsaine qu'il avait eue une seconde plus tôt. A moins que Dwight ne l'ait inventé ? C'était à devenir fou... Ses collègues ne l'avaient pas cru lorsqu'il avait raconté le meurtre.

Et Liam parti d'un grand rire franc, « Je suis glauque, tu penses ? Hein ? Et encore, t'as pas idée de tout le reste... » furent les derniers mots qu'il lança au commissaire Dwight. Malgré toutes les questions, il ne prononça plus un seul son de la soirée, ou de la nuit.

Le jeune homme fut amené dans une cellule. Il ne fit pas énormément de mouvement, il se contenta de s'assoir en fait. Ses camarades de cellule avaient levé les yeux sur lui, mais d'un murmure, d'un regard, d'un sourire, ou peut-être bien en ne faisant rien... ils furent tous dissuadé de l'ennuyer ou le bizuter. Le lendemain, on ouvrait la porte pour le laisser partir. La victime ne portait pas plainte, elle avait juré qu'il l'avait sauvé d'une agression.

Mais Dwight, lui, ne démordait pas de sa version. Et il le prouverait, qu'il avait raison ! Les dégénérés, il était payé pour les foutre en cage, et ça le rendait malade que celui-ci soit dehors.
Heureusement que Liam était du genre joueur, parce qu'il en existait d'autres qui ne supporteraient pas d'avoir un fan aussi collant... Puis de toute façon, tant qu'il ne le gênait pas, ce n'était pas si grave.