je me dépêche, je me dépêche...

L'herbe haute fouette leurs jambes, écorche leurs bras. La course l'éreinte plus qu'elle ne la fatigue. Dans la pénombre, elle lui souffle de se dépêcher. Mais la boue s'agrippe à ses semelles et le retient. Elle, flotte sur le marécage, vole jusqu'à lui. Derrière eux, elle distingue la silhouette les poursuivant. Point de précipitations de son coté. L'herbe le porte presque jusqu'à eux. La panique les saisit plus encore. Dans un bruit de succion, il se dégage de la glu glaiseuse et pénètre dans l'eau. A la nage, ils traversent. Lui, se traine sur le rivage, se hisse grâce aux grandes tiges des roseaux. Elle l'aide et le tire.
- Attends, implore t-il dans un souffle.
Elle trépigne, scrute l'horizon. Il tâte sa poche, vide. Quelque chose dans gorge l'empêche de respirer. Impossible de continuer.
- Elle a du tomber dans l'eau... observe t-elle.
-Transforme-moi.
Abasourdie par la requête, elle fait mine de l'ignorer.
- Debout !
Elle esquisse un mouvement pour l'agripper mais il la repousse.
- Je préfère encore être vampire plutôt qu'un possédé. Transforme-moi.
Elle aurait voulu converser, manifester son opposition mais le temps -et elle le savait-, ne le lui permettait pas. Et puis, l'animal qu'elle était lui criait, la conjurait de l'exhausser. Ce qu'elle fit.

La commissure de ses lèvres se fend. Son cou brûle. Il cligne des yeux et c'est tout son corps qui flambe. Ses oreilles bourdonnent, son sang se fige. Et, alors qu'il tombe au sol, son corps à la lourdeur et la rudesse d'une statue. La chute est brève et indolore. Le sol mousseux des bords du lac épouse le cadavre qu'il devient. La bouche ouverte -par la violence, la douleur ou la Faucheuse elle-même- happe l'air. Par réflexe, ses ongles grattent la terre. Sa poche, sa ventoline n'est pas loin. Mais son bras n'est plus qu'un poids mort. Il aspire, convulsivement. Les couleurs de ses yeux se cristallisent soudain. Inerte, il s'immobilise complètement.
Alors, son regard se cerne de deux coquards. Brutalement, ses paupières blanchies s'ouvrent. Instantanément, il se redresse. Ses articulations encore rigides, craquent. De la mort à la frénésie. Le bond l'effraie. Une paume plaquée sur sa bouche étouffe son cri. On lui chuchote à l'oreille. Ce n'est qu'un murmure, une voix posée, rassurante. Doucement, il s'apaise. Et puis, son estomac se retourne. A nouveau, il pense vaciller. Rapidement, on le libère. A genoux, il vomit, crache et expulse. Vide et furibond, son ventre gronde. C'est viscéral : il a soif.