CHAPITRE TROIS ▬ uc.


On vit sortir du Ministère une jeune femme, de taille moyenne, vêtue d'un grand manteau noir dont la ceinture en soie se nouait adroitement autours de sa taille fine. On s'écartait sur son chemin, car il était possible de sentir l'odeur nauséabonde du Spirit que dégageait cette personne ; un parfum de cruauté, et surtout, de puissance. On pouvait entrevoir son regard derrière les mèches de ses cheveux roux aux reflets bruns, d'un gris pale et brillant, qui scintillait comme une étoile dans la plus obscure des nuits.
La silhouette marchait vite et se glissait entre les petites ruelles de Londres avec une grâce depuis longtemps oubliée. Elle se faufilait entre les hauts murs de briques sombres éclairés par la lune qui brillait. Puis finalement, la personne s'engagea dans une des artères de la ville. Elle semblait presque se balader, car chaque personne qui l'aurait suivi, aurait remarqué qu'elle faisait des tours de Londres, comme si elle cherchait quelque chose. Elle gardait les mains dans ses poches, puis finalement, en sortit un lecteur musique. Elle planta les écouteurs dans ses oreilles, alluma la machine puis se remit à marcher. Les premières notes de piano se diffusèrent dans les tympans de la jeune femme.

Elle entra dans la station de métro, passa son ticket puis descendit vers les sous-sols. Elle descendit les centaines de marches et enfin, se retrouva sur le quai. La prochaine trame arrivait dans quelques minutes. Il n'y avait personne à cette heure tardive ; il était presque vingt-trois heures. Puis d'un geste soudain, brusque, elle sortit le lecteur de sa poche, le laissa tomber à terre – les écouteurs glissèrent doucement de ses oreilles – et l'écrasa. Toute personne qui fut présente – nul individu à ce moment – aurait trouvé ce comportement singulier et étrange. C'était vrai, quiconque connaissait la jeune femme saurait que c'était le lecteur de musique que lui avait offert Viktor – son grand frère adoptif, maintenant décédé – pour ses dix-sept ans.


KALLISTA ▬ Plus de musique.


Elle pénétra dans le wagon, quand le métro arriva. Elle restait debout, sans se tenir ni s'appuyer. À l'arrêt suivant, une silhouette qui lui était familière pénétra dans le métro. Un sourire froid, mauvais et presque vrai se fendit sur les lèvres de la sorcière, qui avait toujours les mains dans ses poches. Les yeux argentés de la jeune femme luisaient d'un air maléfique, et un éclat inquiétant flamboyait dans son regard, comme... Empli de haine.


KALLISTA ▬ Irina... Comme ça fait plaisir de te revoir.


Un silence. Kallista Milana Moscovitch s'approcha lentement de la vampire, chaque pas sonnant comme chaque seconde qu'une horloge marquait avec ses grosses aiguilles. Elle perdit rapidement son sourire, hostile mais plutôt agréable, en étant qu'à quelques centimètres – voire un mètre – de la vampire, tandis que le métro repartait, après s'être arrêté pendant environ cinq secondes à une station, où personne ne monta.


KALLISTA ▬ Tu m'as manqué, tu sais ? Ce n'est pas bien beau de disparaître ainsi... Sans donner aucune nouvelle. Je me suis fait un sang d'encre ma pauvre amie...


Elle semblait maîtriser son semblant de colère, mais elle doutait que cela puisse durer...

Les sorciers me fascinaient et les humains m'intriguaient. Des leur naissance, la vie les inonde quand à l'aube de la mienne, seule la mort était palpable. Elle rôdait autour de mon chevet, mais mon destin n'était autre que traverser les âges et ce, malgré l'acharnement des quelques sorciers me retenant prisonnières durant des mois. Lâchement abandonnée dans une pièce humide et sombre, j’étais une étrangère égarée dans un monde hostile dont les frontières se réduisaient à quelques mètres carrés. Alors, je me souviens parfaitement de mon enthousiasme à croiser le regard appréciable de Kallista. Petite sœur de Nicolaï, nous avons partagé le même manoir et la même table et je cru lire dans la jeunesse de ses traits mes lettres d’amnistie. Quelle déception. L’abandon était des plus totales. J’attendais des réponses qui ne vint jamais et, quand j’espérais encore qu’elle me libère, je réalisai qu’elle usait de mon affection pour son défunt frère dans l’unique but d’arriver à ses malsaines fins : Vider mes veines de toute substances. Depuis, n’est-elle pas en tête de la longue liste de ces sorciers qui mourront de mes mains ? Dès lors, mes journées se rythment à la cadence soutenue où j’accomplis ma vengeance mais, bien que je retrouvai souvent la trace de cette impudente sorcière, je ne peux me résigner à la détruire et non pour honorer la mémoire de mon ami mais pour la seule raison qu’elle détient des informations qui me sont capitales : Le nom de mon libérateur.

Aujourd’hui, alors que je rêvasse sur le toit de Londres, je respire profondément les odeurs nauséabondes de cette ville encombrées de voiture polluant de leur gaz d’échappement. L’air est irrespirable et, humaine, sans doute la pollution aurait-elle eu raison de moi. Pourtant, au cœur de ces désagréables émanations toxiques, je crois reconnaître l’immonde parfum de cette peste. Où va-t-elle ? Instinctivement, je la suis avec au cœur des envies de meurtres. Comment peut-elle se promener impunément dans les artères de Londres alors qu’elle a tué tant de vampires ? Car, si elle m’a retenue prisonnières, j’ose imaginer qu’elle a sans scrupule détruit d’autres membres de la grande famille des « suceurs de sang ». Je la suis de loin jusqu’à me rapprocher jusque dans la bouche de métro et de ma vélocité, je me tiens prête à l’attendre à l’arrêt suivant. Le métro entre sur le quai et son vil regard traverse le mien. De sa petitesse, elle me toise pourtant, mentant honteusement. Les mains dans ses poches, je la soupçonne d’y cacher sa baguette magique que je romprais volontiers telle la brindille qu’elle représente sous les yeux apeurés de son propriétaire. Sans ce vulgaire morceau de bois, cet horrible personnage n’est rien d’autre qu’une humaine vulnérable.

« Ohhhh. Ce n’est pas bien de mentir. Viktor ne t’a jamais appris cela ? » ai-je finis par répondre en rompant le silence qui s’installe entre nous quand il n’est pas un âme aux alentours : « Et, je n’ai pas disparu. J’ai fait ce que tu m’as dit. J’ai patientai jusqu’à ce quelqu’un me libère. C’est bien ce que tu m’avais promis Kallista non ? D’ailleurs, est-ce pour cette raison que j’ai eu la compagnie d’un geôlier d’une gentillesse sans borne. »

La question est détournée. J’attends juste un nom sans oublier de me méfier des moindres faits et gestes de cette jeune fille. Mon perçant regard guette le moindre mouvement de ses mains cachées dans sa veste. J’aimerais lui demander comment elle va mais mon regard est trop stricte, mon visage trop froid et je ne peux lui rendre ces sourires qu’elle m’adresse sans authenticité

« Que fais-tu à Londres ? Pourquoi es-tu ici ? Tu rêves de mourir ? »

Ce n’est pas une menace, juste une question intéressée. J’imagine ne pas être la seule à rêver du corps frêle de la fillette suspendu à une corde une fois vidée de toute substance, de toute vie ou de toute émotion.

IRINA ▬ Ohhhh. Ce n’est pas bien de mentir. Viktor ne t’a jamais appris cela ?
KALLISTA ▬ Viktor ? Viktor ! Viktor, petit vilain, où es-tu ? Pourquoi ne m'as-tu jamais appris à ne pas mentir ? Lança-t-elle alors d'une voix affolée et aigue, avec un ton pour le moins ironique, suivit d'un rire acide. Allons ma chère Irina, Viktor n'est qu'une fiente d'oiseau à côté de moi...
IRINA ▬Et, je n’ai pas disparu. J’ai fait ce que tu m’as dit. J’ai patienté jusqu’à ce quelqu’un me libère. C’est bien ce que tu m’avais promis Kallista non ? D’ailleurs, est-ce pour cette raison que j’ai eu la compagnie d’un geôlier d’une gentillesse sans borne.


Les yeux de la jeune femme devinrent deux petites fentes, dont les pupilles argentées brillaient de plus en plus. Peut-être qu'Irina considérait-elle ce corps comme étant encore humain ? D'après les nombreux souvenirs de sa logeuse, la vampire était quoi qu'un peu plus intelligente. Enfin, si à présent, elle en avait été privée à force d'être une fontaine de sang couleur vermeille intarissable, cela ne pouvait qu'arranger le Spirit. Mais les dernières remarques de l'éternelle n'avait fait qu'agrandir sa haine ; elle n'aurait pas du s'enfuir et alors tout se serait bien passé.
Et si elle s'attendait qu'il lui dévoile le nom du fameux geôlier, ou l'endroit où il se trouvait, il attendrait qu'elle meure pendue pour le lui révéler – ce qui n'arriverait jamais, probablement.

Kallista grondait à l'intérieur. Elle savait qu'Irina lui en voulait car elle l'avait bercée de joyeuses paroles pendant tout son séjour dans les prisons du Ministère. Et elle savait aussi qu'elle ne pouvait rien n'y faire. Qu'elle n'aurait pas la force d'essayer de reprendre le dessus sur le Spirit. La jeune femme restait donc au fond du puits, recroquevillée, hurlant sa haine contre le monstre, en attendant désespérément que quelqu'un lui tende une main, une main qui brillerait d'une lumière douce et chaleureuse. Et le Spirit en profitait pour prendre totalement possession du corps et le manier à sa guise.


IRINA ▬ Que fais-tu à Londres ? Pourquoi es-tu ici ? Tu rêves de mourir ?
KALLISTA ▬ Et toi, tu rêves de me tuer n'est-ce pas ? Ne te donne pas cette peine, à moins que tu ne veuilles vraiment réduire ce corps en cendres pour une quelconque raison. Mais ne te fatigue pas pour rien, je suis invincible... Siffla-t-elle avec un regard noir et plein de dédain.


Il sourit. Cependant, le rire lui chatouillait les entrailles, comme un démon à retenir, pour ne pas montrer que cette pauvre minable ne valait rien. Car elle n'en était pas digne. Il le retenut avec peine, montrant à la place, une image impassible et froide à la jeune imprudente.
Regarde cette étincelle... Elle ne s'éteint plus... Suis-la des yeux, elle t'apporte un peu de chaleur. Crois en elle, elle est plus forte que n'importe quelle autre source de réconfort... Soudain, elle disparaît, t'as vu ? Elle s'évanouit doucement, comme une bougie, et le froid glacial pénètre dans tes os, même si tu es insensible aux températures... Tu le sens, n'est-ce pas ? Il entre dans la moelle puis gèle ton sang, qui stagne depuis déjà longtemps dans tes veines... Il mord ta peau, le déchicte et le griffe. Tu sens des parts de ton âme encore vivante, sortir avec peine, telles des gouttes de sang qui coulent des blessures.


KALLISTA ▬ Que vas-tu faire à présent ? Torturer ce corps jusqu'à que je te révèle tout ce que tu veux savoir ? Sucer tout le sang pour assouvir ta faim ? Ou la transformer en vampire pour le chasser ? Hah, quelle annonce ça a été n'est-ce pas ?! Comme un Big Bang qui explose ! Et toi... Toi, tu as le pouvoir de la sauver... Viens si tu tiens à elle... Viens si tu veux faire plaisir à Viktor... VIENS !