Le voyage avait été long. Il était épuisé et ses yeux se fermaient petit à petit. Il avait du mal à avancer et traînait péniblement sa grosse valise. Mais il ne pouvait pas renoncer, pas maintenant qu’il était si proche du but. Il n’avait plus un instant à perdre et sa fatigue ne pouvait pas l’empêcher d’atteindre son objectif. Il trouverait les sorciers, qu’importe l’endroit où ils s’étaient réfugiés. Il n’avait pas traversé la moitié du monde pour renoncer aussi vite. Pas maintenant. Il continua son chemin, ralentissant le pas, regardant aux alentours. Moscou était une ville si belle, avec ses lumières, ses églises et ses magnifiques immeubles. C’était du moins ce qu’il pensait. Il n’avait pas vu la périphérie de la ville, mais probablement ne la verrait-il jamais. L’objet de sa recherche était dans le centre, c’était ce qu’il avait pu comprendre. Mais où ? Il s’arrêta à l’entrée de la Place Rouge, toute illuminée et brillant de milles nuances de rouge et d’or. Il tira hâtivement le plan de Moscou de sa poche. Il était plié et presque illisible, la pluie avait arraché quelques rues à la carte. Il repéra néanmoins la croix rouge qu’il avait inscrite, un jour, en Inde. C’était l’endroit où les sorciers étaient censés s’être réfugiés. C’était là qu’il se rendait. Il examina le chemin à suivre et rangea son plan maladroitement dans sa poche. Quelques rues à emprunter, et il y serait. Il jeta un œil à la Place. Peut-être ne la verrait-il plus jamais. Il fallait partir.

Il reprit son chemin, et, dans son esprit se mélangèrent des tas de souvenir. Son enfance au Danemark, en compagnie de son frère jumeau. Deux enfants normaux, une existence normale dans une famille aimante. Ils n’avaient jamais manqué de rien. Ils avaient grandi dans une maison du centre de Copenhague, au bord des canaux. Leur mère, russe d’origine, avait tenu à leur donner des prénoms russes. Pour préserver leurs racines, disait-elle. C’était surtout une question de fierté. Elle ne supportait déjà pas d’avoir dû prendre le nom de famille de son mari. Elle aurait bien enduré voir ses fils perpétuer la grande lignée des Kourneev. Ce qui n’était pas de l’avis de son Jorgensen de mari. La famille évolua, unie et serrée, une petite bulle au milieu de la capitale danoise. Jusqu’au jour où Vitali fit preuve d’un don étrange. Il faisait voler les objets. Il avait six ans lorsque, tout fier, il fit son tour à son frère qui se retrouva à quelques mètres dans les airs, hurlant de peur. Vassili se souvint avoir eu la peur de sa vie. Il n’avait plus parlé pendant des jours. La tête de leurs parents quand, à leurs 10 ans, des gens étranges leur rendirent visite et leur annoncèrent que Vitali était un sorcier et qu’il existait en Ecosse une école bizarre pour les gens comme lui. Autant dire que la famille Jorgensen fut secouée. Mais ils ne réalisèrent pas tant que Vitali ne quitta pas le domicile familial pour cette fameuse école, réouverte au début de l’année. Vassili fut pris d’un sentiment étrange, alors qu’il marchait dans les rues de Moscou, à la recherche du repère sorcier où son frère se terrait avec ses semblables. Il se rappela sa jalousie, lorsque Vitali fut chéri et dorloté pour ses pouvoirs. On ne faisait même plus attention à lui. Et si ce voyage autour du monde à la recherche de son jumeau se résumait à cela : une course après quelque chose qu’il n’aurait jamais ? Et si son frère l’ignorait, comme à chaque fois qu’il rentrait de ses rendez-vous avec ses semblables? Il balaya ces appréhensions d’un coup de tête. Non. Vitali ne le laisserait pas tomber. Pas maintenant. Pas dans cette situation. Il fut pris d’un frisson. Il ne faisait pas froid, pourtant. Cela lui arrivait souvent, ces derniers temps. C’était cela qui l’avait alarmé. Cela et des tas d’autres petites choses apparemment sans importances. Mais combinées ensemble, elles signifiaient quelque chose. Et quelque chose de très dangereux. Vitali avait parlé à leurs parents d’une sorte d’esprit vengeur qui voudrait posséder les gens. Des émissions télévisées étaient apparues par la suite. Les envoûtés, c’était leur nom, avaient les prunelles gris argent. Il fallait les éviter comme la peste. Vassili n’avait pas tout compris. Mais depuis quelques mois, depuis le retour de cette chose, il était souvent pris de frissons alors qu’il faisait chaud. Il sentait constamment une présence avec lui et, le pire de tout, c’était qu’il avait l’impression que ses prunelles changeaient peu à peu de couleur. Le bleu azur ternissait doucement. Etait-ce cela, l’envoûtement ? Pourtant, rien d’autre ne semblait avoir changé. Pas de sautes d’humeurs, ni de pulsions étranges. Il était resté le Vassili qu’il était. Mais il avait peur. Tellement peur qu’il s’était tourné vers la seule personne qui pouvait l’aider et qu\'il redoutait le plus: Vitali. Vitali ce sorcier. Ce jumeau qui l’évitait depuis ses dix ans. Le petit préféré. Et lui, vilain petit canard doué pour rien, n’avait qu’une solution : ce jumeau maléfique. C’était comme cela qu’il l’appelait. Il avait ruiné sa vie, ses ambitions et ses rêves de petit garçon. Et pourtant.

Il resserra son manteau un peu plus. Le frisson ne passait pas. Il traînait toujours sa valise, dans les rues de Moscou. Il avait l’impression de tourner en rond. Mais ce n’était pas le cas. Bientôt, ses yeux fatigués repérèrent ce qu’il cherchait depuis un mois : le repère de son frère. Ce repère qui n’avait cessé de bouger, comme s’il l’évitait. Il franchit les grandes portes où un homme d’une pâleur extrême l’accueillit. Il ne semblait pas étonné de le voir là. Il avait un sourire en coin sur son visage de statue. Il attrapa la valise du jeune danois et le pria de le suivre.

Alors qu’il arpentait les couloirs de la demeure, trottinant derrière cet homme étrange, Vassili se mit à s’inquiéter. Des vagues d’appréhension l’assaillaient. Et si on lui refusait de l’aide ? Et si c’était déjà trop tard ? Tous ses efforts, ses voyages à travers le monde n’auraient servi à rien ? Il avait tout abandonné au Danemark, il avait arpenté l’Ecosse à la recherche du château de Poudlard, on l’avait dirigé vers l’Inde où il n’avait trouvé qu’un palais désert. Il avait finalement pu retrouver la trace de la communauté de sorciers. La trace de son frère. Et si ces efforts s’avéraient vains ? Et si Vitali refusait de le voir ? Qu’on le chassait de cet endroit ? Que deviendrait-il ? Et brusquement, alors qu’il tentait tant bien que mal de rattraper son hôte, il s’effondra. Tout devint noir autour de lui. La fatigue avait eu raison de lui. En serait-il de même pour le Spirit ?