Un long soupir sembla traverser le corps qui était glissé sous les couvertures légères. On ne voyait que la longue chevelure sombre de Satine dépasser en tête de lit. Le reste n’était qu’un relief indécis qui s’étendait sur toute la longueur du lit. Un léger roucoulement sembla tirer la demoiselle de son lourd sommeil car elle se redressa sur les coudes, les yeux toujours clos, et tendit la main pour éteindre le réveil magique qui vacillait sur la table de nuit de la jeune Emeraude.
Elle aurait pu se rallonger, retrouver la douce torpeur d’une longue nuit mais il était de notoriété publique qu’une fois éveillée, Satine Blackhart ne se rendormait pas. Gardant les yeux clos, elle tourna sur elle-même pour s’allonger sur le dos et ses longs doigts glissèrent dans sa crinière soyeuse, replaçant les mèches rendues rebelles par ses gesticulations durant son sommeil. Lorsqu’elle ouvrirait les yeux, son regard se porterait vers le plafond rendu doré par les rayons du soleil qui se dispersaient dans le dortoir commun aux filles de la Maison. Les iris noisette apparurent lorsque les paupières s’écartèrent pour rendre la vue à la jeune Blackhart. Elle resta un long moment figée ainsi, telle une morte, le regard braqué sur le plafond de pierre, les bras étendus le long du corps, sa respiration soulevant et rabaissant sa poitrine en un rythme régulier.
Des chuchotements la tirèrent de sa contemplation rêveuse et son regard dévia lentement, dangereux, froid, vers les deux filles qui s’échangeaient des messes-basse. Satine se redressa sur les coudes et les deux étudiantes cessèrent aussitôt, portant leur attention sur leur consœur. Si, un instant, elles restèrent impassibles, elles plissèrent bientôt les paupières, comme il en allait toujours entre elles et Satine. La cadette Blackhart n’étant pas ce qu’il y a de plus sociable, même les Sorciers issus de la même Maison qu’elle ne lui semblait pas forcément digne d’intérêt. Tout juste s’ils n’étaient pas rangés au même titre que les autres élèves dans la case « insignifiants ».
Finalement, Satine se redressa et tourna légèrement de façon à poser ses pieds à terre, ignorant le regard insistant des deux autres. Elle quitta la douceur des draps pour attraper la tenue qu’elle arborerait aujourd’hui, semblable à celles qu’elle portait généralement, fière de représenter les Emeraudes, puis quitta la salle laissant les deux rivales à leurs discussions inintéressantes.
Elle passa une journée normale, vaquant à ses occupations, seule sans pour autant se sentir solitaire. Le fait est qu’elle n’avait pas de réelles fréquentations et cela ne lui manquait pas non plus. Elle se complaisait dans sa petite vie de Pure Sang, retranchée des autres. Ceux qui avaient le sang souillé par des Moldus, ou bien encore les Immortels, en qui on ne pouvait certainement pas avoir confiance et dont elle se méfiait plus particulièrement, sans pour autant les craindre.
C’est donc seule qu’elle arpentait les couloirs. Elle avait cours de Défense Contre les Forces du Mal. Assez ironique lorsqu’on savait que sa famille était déjà considérée comme le Mal incarné en Sorciers. Il était connu que les rejetons Blackhart étaient d’un mépris effarant quand il s’agissait de leurs semblables. Ils avaient été élevés dans ce but, ils ne dérogeaient pas à la règle. Des générations s’étaient succédé, toutes avaient marqué les annales magiques, à leur manière et les jumeaux, les cadets de la famille ancestrale, y contribuaient. Elle s’interrogeait sur l’endroit où pouvait se trouver sa moitié, celui qui avait partagé l’utérus maternel, lorsqu’on la heurta de plein fouet. Elle n’eut pas le réflexe d’éviter la collision et lâcha l’épais grimoire qu’elle tenait sous le bras. Celui-ci s’écrasa à ses pieds tandis qu’elle était retenue par le fautif. Fautif qui la relâcha bien vite en découvrant son identité et elle termina sa chute avortée sur les fesses. Une légère grimace traversa les traits fins de la demoiselle mais disparut bien vite en reconnaissant la voix identifiable entre mille, de Ricochet Archibald, un élève de sixième année de la maison Topaze. Une lueur haineuse scintilla dans les prunelles de Satine et sa fureur fut d’autant plus attisée que le malotru se permit une petite réflexion au sujet de son poids, ce qui n’était déjà pas bien vu, mais surtout de son frère jumeau. Toutefois, elle trouva sa réflexion tellement.. tellement lui – dénuée d’intérêt et complètement idiote – qu’elle ne s’en formalisa pas. Rassemblant le peu de dignité qui lui restait après une chute aussi ridicule, Satine s’empara du livre épais et se redressa, frottant machinalement son séant, où des particules poussiéreuses dorées s’étaient agglutinées.

« Toujours aussi fin, à ce que je vois » se contenta-t-elle de répliquer en ne daignant pas lui adresser un regard, affichant un air hautain dont elle avait le secret. « Il serait temps que tu apprennes à regarder où tu mets les pieds. Visiblement mon poids n’a pas suffi à ce que tu me voies. Ce doit être ton imbécilité qui te gâche la vue. Impossible de voir où on va, quand on se coltine pareille idiotie. »

Elle n’avait pas pu s’en empêcher. Il s’agissait de Rick. Et avec ce jeune homme-là, elle était encore plus incapable de garder son sang froid alors que, déjà en temps normal, c’était l’un des défauts de la demoiselle.

Finalement, il n’y avait pas besoin d’avoir une raison particulière pour que Satine soit odieuse avec quelqu’un. Emeraude ou non, elle se contrefichait de l’origine de son adversaire, elle n’aimait pas les gens, voilà tout. Tous dépourvus d’intérêt qu’ils étaient.
Quelle était donc la différence avec Ricochet, alors ? La réponse était simple : le respect. C’était le respect profond et sincère qui animait Satine lorsqu’elle se retrouvait face au jeune Topaze. Lui semblait volontairement chercher le conflit, les ennuis et, en fin de compte, Satine aimait ça. Il était digne de confiance, de ce point de vue là. Si elle cherchait à déverser son venin, à faire marcher sa langue de vipère typiquement féminine, il suffisait qu’elle croise Rick pour que son souhait soit exaucé, elle pouvait alors déverser toute sa haine pour autrui dans des mots qui n’auraient probablement aucune incidence sur le jeune homme. Tant pis, ça avait au moins le mérite de soulager le cœur tourmenté de la jeune bipolaire. Elle ne se formalisait pas de ce qu’il pouvait bien lui asséner comme amabilité. Elle avait été élevée dans l’esprit de la supériorité par sa mère, afin que les attaques de ses semblables ne la touchent guère et avoir vécu dix-huit ans sous ce régime avait porté ses fruits. Il aurait beau dire ce qu’il voulait, elle ne se froisserait jamais, se contentant de jouer sur le même terrain que lui, cherchant la faille sans jamais la trouver. Alors, quand il éclata de rire suite à la réplique cinglante de Satine, elle se contenta de lever les yeux vers lui, puisqu’il la dépassait d’une bonne tête, et de le contempler avec mépris, les paupières légèrement plissées comme si elle cherchait à trouver le détail qui le sortirait de ses gonds.

« C’est sûr que la connerie, c’est ton rayon. J’essaie de faire honneur à ton QI négatif mais il me reste encore des efforts à faire. »

Il lâcha cela comme si c’était une bonne plaisanterie, alors que Satine n’y voyait rien de drôle, et s’adossa au mur. Typiquement masculin, typiquement stupide, par définition. Gardant sa mine sérieuse, elle le laissa poursuivre sur sa lancée, attendant qu’il ait fini les réjouissances. C’était bien un garçon, tiens, il devrait très probablement s’écouter parler plus qu’autre chose. Il était de notoriété publique que les hommes étaient des champions en la matière. Il continua, intarissable. Il trouvait jouissif de voir à quel point elle était idiote. La remarque fit sourire Satine. Elle n’avait pas la bêtise de figurer sur son tableau de chasse, c’était sûr qu’elle devait être bien bête, surtout si on en jugeait la liste. Un ramassis de glousseuses, c’était certain que c’était bien dommage qu’il n’ait pas éprouvé le besoin de tenter de noter le nom « Blackhart » en bas de la liste. Eh bien, une chose était certaine, jamais le nom des Pur Sang ne figurerait sur une liste, quelle qu’elle soit, c’était aussi simple que ça. La façon dont il la regardait avait plutôt tendance à la dégoûter, bien qu’elle ne se dérobe pas à son regard moqueur et sans scrupules.
Pensant qu’il avait fini, elle s’apprêta à répondre avec un dédain qui lui était propre mais le jeune Topaze n’en avait visiblement pas terminé puisqu’il ajouta, pour revenir au sujet d’origine :

« Alors.. tu te plais en Inde ? Tu es dans ton élément avec les éléphants. »

Satine leva les yeux au ciel. Elle se sentait très bien dans sa peau. Elle n’avait pas un gramme de graisse en trop mais ça, M. Archibald ne pouvait pas le savoir vu les uniformes qu’ils arboraient. Malgré la chaleur, Satine ne dérogeait pas à la règle et portait l’un de ces longs vêtements aux couleurs Emeraude. De plus, elle n’aurait pas voulu qu’un autre que son frère puisse voir la peau dorée de ses bras ou son ventre plat. Ils avaient été élevé dans cette optique là, cela restait assez vieux jeu mais Satine préférait, et de loin, cette éducation que celle des jeunes filles qui se laissaient séduire ou séduisaient n’importe quel individu.
La jeune Blackhart émit un « mhh » dubitatif, baissant le regard pour fixer distraitement les pierres du par terre du château. Lorsqu’elle leva les yeux à nouveau, une lueur dangereuse brillait dans ses yeux noisette. Serrant le grimoire contre elle, elle s’avança lentement vers Rick et se hissa sur la pointe des pieds, plaquant le livre épais contre le torse du jeune homme pour le bloquer contre la pierre, elle lui souffla, minaudant et le regardant droit dans les yeux :

« Tiens, je pense que de la lecture te ferait le plus grand bien. Peut-être que tu devrais aussi chercher un ouvrage qui t’apprenne la finesse, Ricochet, parce que tu en manques cruellement. »

Elle lâcha le grimoire et s’écarta de lui, n’étant pas du tout friande de ce genre de proximité. Elle faillit ajouter qu’elle ne voyait pas comment toutes ces filles avaient pu tomber dans le panneau, vu la bêtise de ses remarques mais elle ne voulait pas lui prouver qu’elle avait remarqué son savoir-faire auprès de la gente féminine. Sans un mot de plus, elle tourna les talons dans l’intention de prendre congé de lui, elle avait mieux à faire que d’écouter ses bavardages inutiles.

S’il y avait bien un sujet sensible, Rick venait de mettre le doigt dessus. Tandis que Satine s’éloignait, espérant qu’il abandonne l’idée de la faire enrager, le jeune Topaze sembla peu enclin à la laisser filer. Aussi, il fit à haute voix sur un ton taquin une remarque au sujet d’Eethaniel. Il était bon en bluff, Satine devait lui reconnaître cela parce que si elle n’avait pas été certaine qu’il n’y avait aucune photo entre les pages usées du grimoire, elle se serait sûrement retournée, horrifiée et serait revenue sur ses pas pour lui arracher la photo imaginaire. Mais Satine n’avait aucune photo de son jumeau, c’était aussi simple que ça, encore moins glissée comme une amourette dans les replis d’un volume qu’elle n’utilisait que très rarement. Elle poursuivit donc sa route mais le jeune homme ne se déclara pas vaincu pour autant et ajouta, rieur :

« Tu n’es pas au courant ? »

Soupirant de frustration, Satine s’arrêta dans sa marche décidée et attendit la suite de la révélation. Rick lui fit part de ces filles qui voulaient absolument mettre le grappin sur Eethaniel. C’en était à un tel point qu’elles seraient prêtes à tout pour arriver à leurs fins, selon lui.
Bien qu’elle sache parfaitement que le seul but d’Archibald était de la retrancher dans ses dernières limites, son tempérament jaloux remonta en flèche, la faisant frissonner de toute part. Ses doigts fins, perdus dans les confins des manches de l’uniforme Emeraude, se serrèrent en deux poings rageurs et elle aurait bien fait ravaler ses mots au jeune homme prétentieux si cela ne l’aurait pas trahie. Ses paupières restèrent closes quelques instants, le temps qu’elle retrouve une respiration normale et elle daigna enfin se tourner lentement pour voir que Rick s’éloignait, lui tournant le dos et brandissant le bouquin, comme pour l’appâter, ou la défier de revenir sur sa parole et le lui reprendre. Il la remercia pour le bouquin et la lueur vengeresse qui venait d’apparaître dans les prunelles de la jeune Blackhart brilla dangereusement tandis qu’elle se maîtrisait à grand peine pour ne pas infliger à cet énergumène un sortilège bien douloureux.
Et comme pour donner un dernier coup de poignard à la demoiselle, il précisa que les petites excitées qui en avaient après Eethaniel étaient des Moldues. Elles auraient pu être des Sang Pur que ça n’aurait rien changé à la donne, se dit Satine. Que la révélation de Ricochet soit réelle ou un nouveau coup de bluff, elle savait qu’aucune n’aurait sa chance avec Eethaniel tout simplement parce qu’il était bien trop obnubilé par ses projets pour s’intéresser à elles. Tout juste s’il leur accorderait à regard dédaigneux avant de poursuivre sa route, comme si personne n’était venu l’importuner.

« Dis-leur que c’est peine perdue, Archibald » s’exclama-t-elle avec mépris. « Je doute qu’il ne s’intéresse une seconde à elles, si tant est que ce ramassis de groupies existe, parce qu’avec tes qualités de beau parleur, permets-moi d’en douter »

Concluant ce premier affrontement, alors que son adversaire s’éloignait avec un grimoire qui appartenait aux Blackhart, elle leva les yeux au ciel et repartit en direction de sa salle de classe. Il lui restait quelques minutes avant que la leçon ne débute et si par malheur elle devait arriver en retard, elle entrerait quand même, affichant une mine faussement humble, s’excusant pour son arrivée tardive et sourirait lorsque le professeur la laisserait intégrer les lieux.
C’était toujours comme ça que les choses se passaient, ça ne changerait pas sous prétexte qu’elle avait eu le malheur de croiser la route de Ricochet Archibald.
D’ailleurs, elle lui ferait payer ses mots au sujet d’Eethaniel. Parce que, malgré tout, ils étaient parvenus à la toucher là où elle s'était promis d'être insensible à leur signification et leurs sous-entendus. Un jour ou l’autre, elle parviendrait à lui clouer le bec, à cet idiot, foi de Blackhart !