YOU DON'T KNOW ME AT ALL.
Un débat se déroulait en son fort intérieur. Spirit. Elliot. Le premier contrôlait le second et pourtant le second n’avait pas dit son dernier mot au premier.
Le dortoir était désert. Il n’y avait pas un chat. Le soleil perçait derrière la fenêtre légèrement ouverte sur l’extérieur, et laissait entrevoir un ciel dépourvu de nuages ce qui était plutôt rare pour la région. Et pour la période. Pourtant, le moral d’Elliot était au plus bas. L’esprit se faisait pressant, insistant et il avait de plus en plus de mal à refaire surface, à reprendre possession de son corps, de ses pensées, de ses émotions. Ses yeux possédaient des nuances argentées qui s’affirmaient, les grands yeux bleus semblaient avoir prit congé de lui. Rares étaient devenus les moments de lucidité, où il parvenait à être assez fort. Et il se maudissait.
Ses prunelles grises observaient les rideaux d’un jaune profond et d’une propreté exemplaire. Pas une seule poussière n’y résidait. Ses pensées étaient tout autres, pourtant. La menace était palpable à travers son regard brumeux et pourtant, il y avait ces dixièmes, ces centièmes de secondes durant lesquelles le bleu renaissait. L’espoir était presque permit. Une certaine confusion régnait dans son esprit. Le Spirit ne le laissait pourtant pas faire, le forçant à se soumettre à lui : et Elliot luttait, il luttait toujours. Il essayait de reprendre assez de force pour lever juste un bras. Serrer son poing. Bouger le petit doigt. Rien. Le néant, même pas l’once d’un mouvement. C’était médiocre et Elliot abandonna un moment la partie. Durant ces secondes où le Spirit n’a plus eu à se préoccuper du garçon, le corps de l’adolescent se leva et se dirigea lentement, dans une démarche fière et assurée, jusque le mur à l’opposé de la pièce. Quand il s’y arrêta, devant son reflet perceptible dans le miroir, son expression se durcit. Et Elliot réapparut soudain.
Le son était sortit naturellement des lèvres charnues du garçon. Un simple cri. La seule différence résidait dans le fait que le Spirit n’en était pas à l’origine. Les prunelles argentées se figèrent alors et tournèrent en un bleu plus prononcé, plus intense que le gris sombre et désormais ordinaire. Le combat devint plus fort, les deux parties se démenant à forces égales. Soudain, le poing d’Elliot frémit et il frappa un grand coup sur le miroir face à lui. Le bruit ne fut pas à la hauteur de la puissance de l’acte. Le coup fut si violent, si fort, qu’à cet endroit la surface lisse du miroir se brisa, laissant le sang perler à grosses gouttes sur les jointures devenues blanches du garçon. Ses pupilles n’arrêtaient pas de changer de couleur, virant de l’argenté au bleu plus ou moins fort, tandis que l’esprit devenait plus confus encore, plus embrouillé. Les maux de tête auraient suffit à en abattre plus d’un et pourtant Elliot se battait de toutes ses maigres forces. Et alors, enfin, le bleu finit par l’emporter. La quiétude prit place sur son visage, abandonnant ses nuances menaçantes. Le Spirit le laissa reprendre possession de son corps, ce dont il avait rêvé depuis si longtemps, enfermé dans ce corps qu’il ne contrôlait plus. Il observa ses mains un moment, ses jointures ensanglantées. Ses doigts vinrent caresser les perles de sang et ses sourcils se froncèrent. Il posa son regard sur son reflet, dans le miroir brisé et y aperçut l’ombre d’un garçon qui semblait faible. Ses cheveux étaient en bataille, ses yeux bleus voilés de tristesse affichait un air soumis, las, épuisé. Le visage d’un homme qui luttait de toutes ses forces pour survivre. Il agita la main, se tourna, se dirigea vers sa table de chevet dont il ouvrit le premier tiroir, cherchant à tâtons un paquet de mouchoirs. Une fois trouvé, il se frotta énergiquement la main. Le mouchoir devint vite maculé de sang et il jeta dans une poubelle. Soudain, il se figea. Il agita la tête, de droite à gauche, et se jeta quasiment sur sa valise. Il en sortit chaque élément, chaque babiole qui s’y trouvait pour la trouver. Il devait y en avoir une. Il ne serait pas partit sans. Il chercha, fouilla dans les moindres coins et recoins avant de la trouver. Dans la poche intérieur. Il la prit et l’observa intensément.
Des larmes roulèrent sur ses joues, ses yeux brillant et ressortant sur son visage si pale. Il la prit, la pressa contre sa poitrine. La détresse s’était emparé de lui au moment même où il l’avait trouvé.
Soudain, la porte s’ouvrit en grand et Josh, un ténébreux avec qui il partageait son dortoir fit son entrée. Sa vue était brouillée, mais Elliot le reconnut quand même. Il se leva alors d’un bond, et sortit de la salle. Il était tard, il ne s’en était pas rendu compte, les autres devaient encore traîner dans on ne savait quelle partie du château.
Il descendit les marches quatre à quatre, jusqu’à la salle commune. Quasiment vide. Décidemment, où étaient donc tous les élèves Opales ? Il se dirigea vers un sofa d’un noir de jais, près de la cheminée dont le feu flamboyait, formant quelques étincelles rougeoyantes, tournoyant légèrement avant de mourir. Il jeta un bref regard à ces dernières avant de la poser sur ses genoux.
Sur la photo, Thilbault et Margaret se lançaient des grands sourires avant de jeter des regards aimants à leur fils unique. Ils avaient l’air si vivant, bougeant de cette manière.
Une larme solitaire s’écrasa contre la photo et Elliot se prit la tête dans les mains. Il resta un long moment ainsi, entendant la porte de la salle commune s’ouvrir à chaque fois, les exclamations des élèves qui le voyaient, et enfin, plus rien, le calme complet. Il resta dans son sofa, ses genoux contre sa poitrine, les larmes rendant ses yeux tout rouges.
Jusqu’à ce qu’il entende sa voix. Une voix féminine. Agréable.
ELECTRA - Suis-je en train de rêver où Elliot Duberlay pleure ?
Il haussa les sourcils avant de lever son regard vers la nouvelle arrivée. Electra Yanoquelque chose. Il fronça les sourcils, sa tristesse était si immense qu’elle avait temporairement éliminé le Spirit de son corps. Car son humanité en cet instant était trop grande pour que l’esprit ne le transperce. Il prit un air las avant de reprendre son visage entre ses mains, le regard voilé.
ELLIOT - S’il te plait, laisse-moi.
Sa voix était plus douce que d’accoutumée. Ce n’était plus son grognement incessant qui sortait de sa bouche quand le Spirit le contrôlait, son timbre de voix était plus tendre. Il se frotta les yeux espérant de toutes ses forces que la jeune fille comprendrait le message. S’il te plait, va-t-en, je n’en demande pas plus, suppliait-il intérieurement.
Mais quand il leva ses prunelles, elle était toujours là. Presque figée. Il se souvint alors d’elle. Un soir, une fois, le Spirit l’ayant rendu menaçant, il l’avait bousculé, d’énervement. Il l’avait insulté, par pur plaisir vicieux. C’était une moldue. Et il lui avait dit les mêmes horribles, ignobles mots prononcés juste avant qu’il ne tue sa mère. Sang de bourbe. « Vulgaire sang de bourbe ».
Ses yeux s’emplirent de larmes et il détourna le regard, gêné. Les larmes silencieuses reprirent leur chemin et il ferma les yeux.