Paume contre paume. Des murmures inaudibles, et ce froid dévorant mes mains, celle-ci placées dans un geste de prière. Mais surtout d’espoir. Je me cramponnais à ce collier entrelacé entre mes doigts, en signe de dévouement. Mes paupières étaient closes, et mon visage impassible. Je remuais la tête, des mèches de cheveux tombant en cascade sur mes frêles épaules. Je me relevais lentement, et silencieusement. Le bruissement d’une cape fendit l’air. Je fis rapidement volte face, mon regard se teintant d’une lueur de surprise mêlée à de l’inquiétude. Je laissais mes yeux se poser un peu partout, jusqu’à sortir de ma paralysie afin de sortir de cet endroit sordide. Un vestige du passé, chapelle inconnue et oubliée de tous. Enfin presque, pensais-je me faufilant avec hâte derrière un arbre. Mon action, je la vivais au ralentie, alors que je courais d’arbre en arbre, le crépuscule cachant mes pas. Un tendre espoir naissant en moi, depuis que je m’étais prise à la foi. Je m’arrêtais face à une rivière, et quelque chose de large dans ma poche me rappela que j’étais une sorcière capable de mille choses. J’enfonçais ma main, sortant ma baguette à la hâte et la pointant vers l’eau. Elle se figea instantanément, mais je savais que ce n’était que pour un bref instant, et me précipitais sur l’autre rive, le courant reprenant le cours de sa vie tel qu’il l’avait fait quelques minutes plus tôt.

Cette course folle, et impromptue me rappela alors un souvenir, profondément encré dans ma mémoire. C’était quelque chose de joyeux, que seuls les enfants peuvent comprendre et apprécier à sa juste valeur. Et ce souvenir, je le partageais avec une personne chère à mon cœur. Celle qui avait motivé mes nuits et mes jours, et mon accroissement. Il fut un temps où j’étais encore Blandine Shirley Shepard, la fillette heureuse et amusante. Mais surtout innocente. Mais ce temps était révolu, des années étaient passées, et j’entrais à présent dans ma vingt-troisième années. Mais pour un bref instant, pour le temps d’un souvenir je tenais à rajeunir, à devenir celle que j’étais d’antan. Mon cœur s’allégea automatiquement, alors qu’un sourire s’épanouissait sur mon visage. L’amour se lisait dans mes yeux, alors que je me revoyais gambader dans une forêt aux parfums agréables. Je n’étais pas seule, dans ce temps-là. Je courrais nue comme un ver, accompagnée de mon fidèle ami, et frère. Pataugeant dans l’eau, et s’éclaboussant avec amusement et allégresse. L’innocence d’une dernière danse. Le rêve, dans ma tête, se transforma brusquement en cauchemar alors que je revoyais une scène qui me semblait inconnue. Deux silhouettes au loin, l’une s’écrasant sur le sol, et l’autre une main leste et tapageuse. Mon cœur se serra, et j’entendis un cri, et j’ouvrais en hâte mes yeux. Avant de comprendre que c’était mon cri, qui venait de résonner.


Je me relevais rapidement, sortant de ma rêverie cauchemardesque. Ma course ne reprit que de plus belle, alors que mes yeux commençaient à trahir ma fatigue. Mais je ne pouvais dormir alors que je savais que mon voyage allait toucher à sa fin. Des années et des années de recherche pour avoir un nom, celui d’une ville. Je n’étais pas ici pour être dotée d’une cruauté sans épreuve, mais pour retrouver une personne chère à mon cœur. Et mon inconscient me chuchotait très souvent que le retrouver serait chose difficile, mais que mon innocence à ses côtés ne pourraient qu’en resplendir d’une beauté que je ne me connaissais pas. Et si un simple souvenir en sa compagnie me permettait d’être plus soulagée, je n’allais pas me priver de fouiller cette ville de fond en comble. Et dès mon arrivée, je fis quelque chose d’extraordinaire, je m’annonçais. Je reprenais mon nom, Blandine. Shirley, ce prénom cruel ne ressurgirait plus. Il n’était connu que de mes poursuivants. Et je n’étais plus Shirley. Enfin jusqu’à la prochaine fois.


Et il n’était jamais très bon d’être face à cette… Facette de ma personnalité. Celle-ci agissant comme un instinct de survie, cruelle et sans pitié. Shirley était un contraire de Blandine. Son juste opposé, d’un caractère froid et rusé. Je n’aimais pas vraiment être dans sa peau, et imaginer les choses telles qu’elle pouvait les voir. Dans sa tête, tout n’était qu’organisation. Je n’étais plus l’Homme mais bien la machine. Incapable d’être dotée de sentiment, sa seule préoccupation était ma survie, enfin… Notre survie. Nonobstant, je lui devais énormément. Et au fur et à mesure que le temps passait, je m’attachais à sa personne, tout en la haïssant d’être ce qu’elle était. Un paradoxe plus concret que celui qui naissait chez moi plus souvent qu’à mes heures. Une passion dévorante, et dévastatrice. Un contraste total avec Blandine, la douce. L’innocence incarnée, la naïve. Candide serait ainsi son second prénom. Les espoirs, la confiance, l’amour la caractérisaient. Enfin me caractérisaient. Techniquement, je suis en train de parler de moi, la vraie moi. J’ai quelquefois du mal à comprendre que dans ma tête, je ne suis pas seule.


Parce que seule, je ne suis rien. Une loque dans un monde dangereux où la force prime sur le cœur. Trop faible pour exister, trop naïve pour écouter, trop aimante pour tuer. Que de défauts pour une fille qui se devait de naître avec un potentiel monstrueux. Mais de la noirceur naquit une faible lueur, qui faillit rapidement. Incurable maladie, c’en était presque amusant. Peut-être ma vie n’était-elle pas pure à cette époque, ce qui me fit plonger dans l’encens d’une mort imminente. Mais dès lors où mon corps s’évanouit dans la nature, possédé par une autre force, la mort disparut. Pour ne laisser place qu’à la cruauté humaine, celle qui ne faillirait pas dans la tâche de faire de moi un cadavre froid. Alors ma vie n’est à présent qu’une course contre la montre. Et j’en suis lasse.


Et prudente, je ne serais plus. Ou plus vraiment comme avant. Quitte à mourir, autant avoir vécu. Je ne suis pas faite pour tous ces ennuis, j’ai besoin d’espace, et de stabilisation. Alors, après moult recherches, après moult combats, et moult fuites… J’ai enfin réussi à retrouver une piste, et je vais l’exploiter pour vivre comme il se doit. Redevenir l’enfant de mes rêves, l’être suprême et innocent que j’étais quelques années plus tôt. Et seule Valentin parvenait à ce fantastique résultat. Ce frère jumeau que j’aime plus que tout au monde. Malgré nos différences, autant physiques que mentales d’ailleurs. Mais nous sommes nés pour être complémentaires, ensemble nous sommes invincibles. Ensemble nous sommes des êtres dotés d’un cœur innocent. D’un cœur capable de toucher le plus dangereux des Hommes. Nous ne sommes qu’un.


Heureusement la piste était fraîche, énormément d'ailleurs. Ce n'était plus qu'une question de temps avant de me blottir contre lui, et ainsi ressentir sa force. Et alors il verrait en moi une autre femme, plus sage et surtout plus puissante. N'étais-je pas l'alliée des vampires ? Celle qui écoute, qui voit et qui leur donne une aide précieuse ? Certes mes rapports n'étaient pas très fréquents... Mais il était dur de rester incognito, alors que dehors des dizaines de gens veulent votre peau.