Satine Blackhart était d’humeur exécrable. Elle sortait tout juste d’un entretien qui n’avait pour seul but – et ce n’était même pas dissimulé – de soutenir les élèves d’Hogwart. Une aide psychologique fournie suite à l’attaque sanglante qui avait eu lieu quelques jours plus tôt et qui avait entraîné bon nombre d’étudiants dans le tourbillon du Spirit.
La jeune femme ne craignait pas pour sa vie. En bonne Blackhart qu’elle était – imbue de sa personne et persuadée d’être supérieure à tous les autres, Moldus, Vampires, Cracmols ou même Sorciers – elle était convaincue qu’elle ne serait jamais touchée par le démon qui avait été mystérieusement libéré. C’était comme si une aura maléfique les protégeait des grands maux terriens. Jamais sa famille n’avait été touchée par quelque chose de ce genre et pour cause, celle-ci s’évertuait à garantir la pureté sanguine. Aucune génération n’avait failli à la règle et la jeune femme savait qu’elle ne faillirait pas de sitôt. Ils étaient nés pour régner en maître sur leurs congénères, c’était un fait, voilà tout. Sa mère lui avait cent mille fois conté les histoires personnelles des Blackhart. Cela confortait la jolie jeune femme dans l’idée qu’ils étaient invincibles et, à partir du moment où on ne touchait pas à Eethaniel, sa vie frisait la perfection, elle ne demandait rien de plus.
Elle avait donc trouvé cette heure qu’elle avait passée avec un professeur soporifique particulièrement lassante et n’avait eu de cesse d’observer le sablier dont le sable se transvasait bien trop lentement à son goût de la partie supérieure à la partie inférieure. Elle aurait volontiers utilisé un sort afin d’accélérer le processus si les prunelles grises du vieil homme n’avaient pas été fixées sur elle tout au long de la séance. Elle en venait même à douter qu’il ait cligné des paupières au cours de l’entretien.
A cet instant précis, elle traversait la pelouse pour se rendre aux serres. Elle savait qu’aucun cours n’y était donné à cette heure-ci et profitait que l’endroit était désert pour aller s’isoler. Etrangement, les plantes avaient toujours eu cet effet bénéfique sur elle. A part son frère, elles étaient les seules à apaiser les tourments intérieurs de la jeune femme – généralement bouffée par sa jalousie et ses caprices – et avaient même la faculté de minimiser sa bipolarité. Lorsqu’elle poussa la porte, elle inspira donc profondément l’air pur, exempt de pollution grâce aux filtrations des plantes, et referma doucement derrière elle, s’adossant à la porte pendant quelques minutes, les mains croisées dans le creux de ses reins. Elle aurait voulu pouvoir se réfugier dans les bras d’Eethaniel mais elle ignorait où il se trouvait. Elle sentait un mal-être croissant comme il passait de plus en plus de temps à trafiquer Dieu sait quoi. Elle craignait que son attrait pour les vampires devienne une obsession, raison pour laquelle son aversion à elle grandissait exponentiellement. Plus ces créatures infectes fascinaient Eethaniel plus elle les détestait et les méprisait.
Satine inspira profondément et se détacha de son appui pour se diriger vers une longue plante aux feuilles démesurées qu’elle caressa amoureusement, comme s’il s’agissait d’un chat à la fourrure soyeuse. Ses doigts suivirent instinctivement les nervures du végétal et elle se pencha pour humer délicatement l’odeur qu’elle diffusait. Elle sentait bon, un mélange d’un parfum fleuri et de la terre meuble. Elle laissa retomber ses mains sur le bord de la table, les y posa à plat et jeta un coup d’œil circulaire avant que son attention ne soit attirée par une silhouette qui se tenait non loin de là. Un soupir agacé s’échappa d’entre ses lèvres en réalisant qu’il s’agissait d’une vampire en plus d’être une intruse à ses yeux. Irritée de ne pas pouvoir jouir d’un moment à elle, elle décocha une œillade assassine à la jeune créature qu’elle reconnut comme étant Charlotte, une étudiante Emeraude, tout comme Satine. Pressant une main sur sa hanche, l’autre toujours posée sur la table, elle haussa un sourcil, affichant une moue méprisante puis s’exclama, légèrement blasée :

- Je croyais être seule, je ne savais pas que tu avais investi les lieux. Tu n’as pas quelque créature gorgée de sang à aller martyriser plutôt que de tenir compagnie à des végétaux ?

Satine serra les mâchoires. Son pouls s’accéléra légèrement en voyant la créature s’avancer vers elle, quittant son refuge dans la pénombre pour laisser les quelques rais de lumière qui traversaient le toit de la serre éclairer sa peau. Les yeux noisette de la jeune Emeraude jaugèrent avec méfiance l’approche trop doucereuse pour être normale et revinrent sur les traits sans âge de Charlotte pour voir qu’elle arborait un sourire en coin, plus qu’un rictus, il semblait exprimer un réel sadisme. Satine en savait quelque chose pour l’avoir esquissé à de nombreuses reprises avec des êtres qu’elle considérait comme inférieurs à elle, aux Blackhart. Sauf qu’ici, la créature qui lui faisait face n’était pas inférieure, elle avait la capacité de mettre en pièce la jeune sorcière qui, sans vraiment craindre une attaque fulgurante, préféra jouer la carte de la prudence.
Elle ne recula pas pour autant, écoutant attentivement les paroles cyniques de la jeune vampire. N’était-elle pas gorgée de sang ? Si, Charlotte pouvait le sentir de là où elle était, à une poignée de mètres à peine de sa proie potentielle. Le nom de famille de la descendance la plus pure du monde Magique sonnait comme une mélodie mielleuse dans la bouche de Charlotte et Satine la fixa, impassible, cherchant à déceler quelque chose chez son ennemie, un point faible, un défaut, aussi minime soit-il. Mais l’abomination semblait avoir complètement le dessus. Elle imposait sa supériorité de tout son être et Satine ne pouvait qu’observer la langue délicate de Charlotte se glisser entre ses lèvres parfaites pour découvrir les canines qui caractérisaient son espèce. Ces canines que son frère semblait tant adorer, ces canines qui pouvaient ôter la vie à n’importe quel être vivant qui serait assez alléchant pour l’instinct animal des vampires. Satine imagina la douleur perçante qui devait se répandre dans son corps si jamais ces dents pointues pénétraient la chair tendre de son cou. Une douleur qui ne serait probablement pas comparable à l’Enfer qui suivrait. Des années, des décennies, des siècles à vivre, maudit. Satine n’avait jamais montré la moindre envie de vivre éternellement. C’était pour elle davantage un cauchemar qu’une bénédiction, surtout si c’était pour combattre une soif de sang chronique. Elle préférait, et de loin, sa vie de simple mortelle. Elle voulait mourir avec son frère. Elle voulait voir l’au-delà à ses côtés.
Le regard toujours braqué sur Charlotte, Satine l’observa effleurer les feuilles d’une plante tout en poursuivant son approche. Il était évident qu’elle ne cherchait aucunement à être discrète. Elle se savait supérieure, maîtrisant la situation de a à z. Et Satine ne l’en détestait que davantage. Elle haïssait être dominée par qui que ce soit. Elle ne cherchait pas la domination mais exécrait une force qui pouvait, d’un revirement d’humeur, décider qu’elle n’avait plus à vivre. Sachant que le Spirit rôdait déjà alentour, il n’était pas rassurant de savoir que le danger était partout, même parmi les étudiants de sa propre maison qui était visiblement à l’abri d’une attaque de l’esprit maléfique.
Lorsque Charlotte s’arrêta enfin, ce fut pour se délester d’une bombe verbale qui avait l’art de mettre Satine hors d’elle. Elle ignorait ce qu’allait dire le vampire mais dès que les premiers mots surgirent de sa fine bouche, Satine sut que jamais elle ne parviendrait à éprouver pour cette créature la moindre once de compassion.

« Où est ton frère ? Il n'est pas avec toi ? »

Soit elle faisait exprès de montrer plus d’intérêt pour son frère jumeau que pour Satine elle-même, soit elle se doutait que la relation des Blackhart n’était pas au beau fixe. Les gens devaient remarquer qu’il commençait à s’éloigner de Satine, lui préférant des suceurs de sang plutôt que la chair qui avait partagé l’utérus maternel avec lui et qui, par conséquent, serait à jamais lié à lui. Dissimulant à grand-peine le trouble qui la tenaillait dès qu’on évoquait l’absence d’Eethaniel à ses côtés, Satine se redressa. Si elle avait eu ne serait-ce qu’un millième de chance de faire ravaler ses mots à Charlotte, Satine n’aurait pas hésité. Mais sa faiblesse évidente face au vampire la handicapait fortement et elle ne pouvait que battre pitoyablement en retraite ou feindre l’indifférence totale.
En bonne Blackhart qu’elle était, Satine opta pour la deuxième solution. Croisant les bras sur sa poitrine, elle fusilla Charlotte du regard et haussa les épaules d’un air désinvolte :

- Aucune idée. Va demander à tes copines immortelles, peut-être qu’elles le savent. Tant mieux pour elles s’il leur trouve soudainement un intérêt mais qu’elles ne s’imaginent pas que ça va durer. Eethaniel se lasse toujours de ses soudaines passions.

La situation lui échappait, filant entre ses doigts comme de l’eau ou du sable. Le pire, c’est qu’elle en avait parfaitement conscience. Elle connaissait sa faiblesse, son impuissance face à la créature qui la poussait à bout, à grand renfort de paroles doucereuses. Et Dieu sait si Satine exécrait ce genre de situation. Elle avait été habituée depuis sa plus tendre enfance à dominer tous les événements. Elle était la reine chez elle, étant l’unique fille de la fratrie Blackhart et aussi, accessoirement, la cadette. Sa mère l’avait toujours choyée et son père lui réservait ses paroles les plus tendres, assénant des mots durs à son jumeau. Elle avait maintes fois maudit son père, juré intérieurement de l’étriper de ses propres petits doigts d’enfants, pour infliger pareil traitement à son fils cadet, mais elle avait bien vite compris que sa position pouvait au contraire venir en aide à Eethaniel. Elle n’hésitait donc pas à user de son charme et de son calme olympien – lorsqu’il lui faisait grâce de sa présence, évidemment – pour manipuler le patriarche. Certaines fois, cela ne suffisait pas, malheureusement, mais Satine avait toujours fait de son mieux et elle savait qu’Eethaniel en avait conscience même si à aucune moment, il ne lui avait reproché son statut de favorite. Ayant toujours été le centre d’intérêt à la maison, elle avait eu l’habitude d’asseoir son autorité sur ses camarades de classe particulièrement faibles. Une vraie chipie, telle qu’elle était décrite par ces derniers. Mais une dominatrice née. Son pouvoir ne s’était heurté à plus fort qu’elle qu'une fois que Hogwart avait été ré-ouvert aux élèves. Confrontée aux vampires qui foulaient les couloirs de la célèbre école au même titre que les autres sorciers, elle avait bien été forcée de réaliser que sa suprématie n’était pas éternelle. Si elle l’avait compris, cela ne signifiait pas pour autant qu’elle l’acceptait et, plus maligne qu’un félin, elle savait qu’elle devrait faire profil bas, sans pour autant s’abaisser à jouer les pauvres victimes devant les créatures immortelles. Elle préférait mourir que de se sentir moins que rien face à l’une des seules personnes capables de la mettre en pièces en une poignée de secondes. Elle savait que les vampires avaient tout intérêt à ne pas trop se faire remarquer mais on était jamais à l’abri d’un écart de conduite, après tout.

« Ah, je vois parfaitement ce dont tu parles... »

Les yeux noisette de Satine fixèrent Charlotte. Elle resta muette, toutefois, cherchant à déceler un indice dans le comportement adverse qui lui donne une explication. Que voulait Charlotte ? Evidemment, c’était elle la fautive, à être entrée dans la serre sans même vérifier si elle était déserte ou non. Il lui avait semblé tellement normal que personne n’y soit qu’elle n’y avait pas pris garde et voilà à quoi elle en était réduite : affronter une créature qui, visiblement, savait ou soupçonnait des choses qu’elle aurait dû ignorer. Des choses qui concernaient les jumeaux Blackhart et qui mettait par conséquent Satine dans une situation gênante. Et sa réponse semblait avoir davantage intéressé Charlotte. Satine se maudit d’être aussi incapable de dissimuler ses tourments lorsqu’on abordait le sujet le plus sensible de sa vie. Si son visage parvenait à rester impassible, il était certain que sa voix légèrement tremblante trahissait la moindre de ses émotions. De plus, Satine n’était pas sans savoir que la vampire possédait des sens décuplés qui devaient remarquer des signes bien plus discrets, qui auraient été invisibles pour des yeux sorciers ou moldus. Mais voilà, elle n’était malheureusement pas confrontée à l’un de ces regards et son cœur devait avoir joué le rôle du délateur final.
Satine écouta passivement la voix de Charlotte qui semblait jubiler, vu qu’elle dominait entièrement la conversation. La jeune Blackhart aurait bien coupé court à cette entrevue plus que malvenue mais ce retrait stratégique aurait sûrement engendré toutes sortes d’interrogations quant à ce besoin soudain de fuir et Satine ne préférait pas prendre ce risque, quitte à devoir subir les railleries de l’autre Emeraude.
Comme pour accentuer la tension qui régnait déjà dans la serre, Charlotte mentionna cette autre vampire que Satine considérait comme toute aussi dangereuse que celle qui lui faisait face – sinon plus. En fait, le danger était le même, sauf qu’il ne concernait pas la même personne, selon Satine. Si Sunday était un véritable aimant pour Eethaniel et sa soudaine passion pour l’immortalité, Charlotte était quant à elle trop intelligente, et donc, impossible à manier, du point de vue de Satine. Un jour ou l’autre, elle découvrirait quelque chose d’anormal, même pour des vampires. Un regard, un frôlement, une caresse, un baiser et ce jour-là, le secret qui unissait les jumeaux serait révélé au grand jour. C’était pour l’instant la plus grande crainte de Satine et elle était incapable de savoir comment ce dépêtrer du piège qui se refermait lentement sur elle, la faisant suffoquer intérieurement.

« Si ton cher frère n’y prend pas garde, je crains qu’il ne le paye. De sa vie. »

La fureur coula dans les veines, s’insinuant dans le sang pur des Blackhart et Satine eut énormément de mal à contenir le flot injurieux qui menaçait de s’échapper de ses lèvres fines. Elle se devait de faire bonne figure mais la hargne qu’elle ressentait lorsqu’on insinuait que la vie de son frère était en danger était telle qu’elle avait du mal à contenir le rythme fou de son cœur, qui cherchait à filer droit vers la débandade. Seul le self-control qu’elle avait acquis tout au long de sa vie lui permis de garder sa rancœur pour elle-même, se contentant de regarder Charlotte avec un mépris qu’elle ne cherchait même pas à dissimuler.
C’était de la jalousie, tout simplement, se disait-elle pour amadouer son tempérament bipolaire. Charlotte était purement et simplement jalouse de la relation fusionnelle que Satine entretenait avec son jumeau. Aux yeux de tous, le côté fusionnel était lié au fait qu’ils étaient jumeaux, qu’ils avaient partagé le corps maternel durant neuf longs mois et qu’un tel lien était à présent indissoluble. Personne ne parviendrait à la séparer de frère, pas même une bande de vampires assoiffés de sang. Cette certitude permettait à Satine de garder la tête froide et de ne pas devenir complètement folle en sachant ce qu’il traficotait de son côté.
Satine l’écouta impassiblement mentionner la colère qui la rongeait littéralement. Elle avait su dès l’instant où elle avait croisé le regard piqué par la curiosité de Charlotte qu’elle devrait s’en méfier. Jusque-là, personne ne s’était intéressé à sa relation avec Eethaniel. Les autres étaient bien trop occupés à se faire discrets en présence des jeunes Blackhart pour soupçonner quoi que ce soit, et cela convenait parfaitement à Satine. Maintenant que le secret était mis en péril, elle ne pouvait qu’en haïr davantage les vampires, sources de tous ses problèmes aussi bien familiaux que sentimentaux.

« Car c'est cela qui te dérange, n'est-ce pas ? Qu'il ne te préfére pas, même pour un temps... »

Elle visait juste. C’était le fait qu’il se désintéresse d’elle ne fût-ce qu’une heure qui rendait Satine malade. Par-dessus tout, elle craignait que cet attrait pour les vampires ne soit fatal à Eethaniel mais également à leur relation ambiguë. Or, sans celle-ci, Satine était perdue, déboussolée, elle perdait tous ses repères.
Les yeux de Charlotte qui s’étaient posés sur une feuille tout au long de sa provocation, revinrent se poser sur le visage impassible mais blême de Satine. Elle fixa les mains de Charlotte pendant un instant, comme si elle considérait les paroles du vampire. Elles n’étaient pas dépourvues de sens et Satine se serait inquiétée si elle n’avait dès lors compris que c’était justement le fait que ce soit un vampire qui s’intéresse à leur relation qui la sauve – du moins, momentanément. Il était à présent clair pour Satine que Charlotte n’avait aucune idée de la relation qui pouvait unir Satine à Eethaniel. Sa condition même d’immortelle et donc, déconnectée du temps, l’empêchait de savoir réellement. Des yeux plus humains qui auraient porté un même intérêt aux deux jeunes gens auraient tôt fait de déceler des petits signes qui ne trompaient pas et que mêmes les Blackhart étaient incapables de dissimuler. Charlotte était un vampire et pour l’instant, c’était la seule chose qui sauvait Satine.
Forte de cette révélation, Satine laissa un léger rictus se dessiner sur ses lèvres et ses yeux remontèrent lentement pour croiser ceux, à l’étrange coloration, de Charlotte.

- Tu t’essaies à la psychanalyse, maintenant ? ironisa-t-elle en reculant d’un pas pour à nouveau mettre une distance respectueuse entre elle et son interlocutrice. Bien sûr que cela me dérange. Vous êtes des créatures instables, un rien peut vous pousser à l’irrémédiable. Quant au fait qu’il ne me préfère pas, tu te trompes. Nous sommes un depuis notre naissance. Je n’ai pas besoin de l’avoir constamment à mes côtés pour me sentir vivre. S’il veut s’intéresser à vous, c’est son droit. Je trouve simplement que c’est une perte de temps.

Mensonge. Mensonge. Mensonge.
Elle agrémenta sa remarque anodine d’un haussement d’épaules et cueillit une fleur aux pétales pâles qu’elle porta à ses narines pour en humer le doux parfum. Celui-ci eut l’effet escompté ; le rythme cardiaque de Satine s’apaisa et ses poumons s’emplirent d’une nouvelle bouffée d’oxygène salvatrice.

Maintenant, tout ce qui importait, puisque le secret ne serait pas percé à jour lors de cette conversation – Satine en était convaincue – c’était de trouver le moyen de s’en aller avec dignité, agir comme si son interlocutrice n’était pas un danger vital à elle seule. Il fallait éviter de pousser la demoiselle vampire à chercher plus loin et finir cet entretien sur un ex-æquo.
Satine tourna doucement la tige entre son pouce et son index, cherchant une échappatoire. Cette rencontre imprévue et indésirable avait eu au moins un avantage, pensa-t-elle, cela lui avait permis de cerner la curiosité de Charlotte. A présent, elle savait qu’elle était un centre d’intérêt et que, quoi quelle fasse, Charlotte serait là, quelque part, à la toiser, à analyser leurs moindres faits et gestes, à elle et Eethaniel. Il faudra qu’elle avertisse son jumeau, bien qu’il y ait de fortes chances qu’il soit parfaitement conscient du danger potentiel dans lequel il les avait tous les deux mis avec sa soudaine passion pour ces suceurs de sang. Ah, elle le maudirait s’il ne représentait pas le seul amour qu’elle puisse ressentir pour un autre Sorcier. Les quelques rares amitiés qu’elle pouvait estimer compter à Hogwarts n’avaient rien à voir avec le lien qui l’unissait au jeune Blackhart. Si seulement elle pouvait être moins faible, moins dépendante de lui, peut-être que leur amour ne serait pas en danger, peut-être qu’elle parviendrait à faire bonne figure et que les vampires se désintéresseraient d’elle, s’imaginant que cela lui était bien égal qu’ils touchent à Eethaniel. Après tout, s’il avait s’agit d’un autre de ses frères, elle se serait contrefichée de son sort. Qu’ils s’en prennent à leurs aînés, seulement, rien ne pouvait la toucher moins que ça.
Sa stratégie – un revirement de dernier recours, en quelques sortes – avait semblé avoir fonctionné. Face à son aplomb, à son sourire narquois, la vampire, aussi intelligente qu’elle soit, avait légèrement perdu pied, ne comprenant visiblement pas la métamorphose dans le comportement de Satine et la jeune Blackhart s’en félicita, ravie qu’elle ait encore un minimum de contrôle sur son corps et sa pensée pour ne pas vendre son amour pour Eethaniel à la curiosité assoiffée de Charlotte. Evidemment, rien de tout cela ne s’était affiché sur le visage parfait du vampire mais son manque de réaction avait suffi pour mettre la puce à l’oreille et Satine considérait cela comme un triomphe, aussi maigre soit-il. Mais apparemment, la créature démoniaque n’avait pas apprécié le fait que Satine reprenne le contrôle sinon de la situation, du moins, de ses sentiments, afin de ne pas se sentir esclave de Charlotte. Le vampire, bien qu’étant un étudiant de la même maison que Satine – les Emeraudes – n’était aucunement sympathique aux yeux de la jeune Blackhart. Après tout, les Emeraudes étaient réputés pour être les plus cruels des quatre maisons. Les élèves des autres couleurs semblaient d’une fadeur inqualifiable, surtout pour des jeunes issus d’une famille aussi lointainement pure que les Blackhart. Le mélange n’était pas dans leur éducation et ils avaient été élevés dans le but de mépriser leurs semblables, ce qu’ils s’accordaient à faire sans difficultés. Détester un vampire n’était donc qu’un jeu d’enfant pour une Sorcière telle que Satine Blackhart.
Et le mécontentement de Charlotte se traduisit avec violence alors qu’elle jetait un sort non pas à l’encontre de Satine elle-même mais prenant pour victime le végétal qu’elle tenait délicatement entre ses doigts et qu’elle humait pour calmer les battements fous de son cœur, son cœur qui cherchait à la trahir, à faire tourner son sang dans tout son corps afin que la haine inqualifiable qu’elle ressentait à l’égard de Charlotte éclate au grand jour.
Pour Eethaniel, elle devait réprimer l’envie dévorante qu’elle avait d’étriper la créature au sang glacé.
Satine fixa la fleur qui se résumait à un tas de cendres qui s’échappèrent d’entre les doigts serrés de Charlotte. Bien, si Satine avait été capable de se maîtriser, apparemment, ça n’avait pas été le cas de Charlotte qui, probablement lassée de jouer au chat et à la souris avec Satine, s’avança lentement dans la direction de la jeune Blackhart. Satine recula jusqu’à se retrouver acculée à la table qui se trouvait derrière elle. Les feuilles caressèrent en douceur son dos tandis que le prédateur comblait l’espace qui les séparait.
Sa voix ironique emplit l’atmosphère de la serre, même les végétaux semblaient avoir perçu la baisse de température notable, suite à l’énervement du vampire. Plusieurs plantes se recroquevillèrent, comme pour se protéger d’un hiver enneigé auquel la seule manière de survivre serait de se ratatiner sur place. Satine n’était pas un arbuste, elle ne s’abaisserait pas à se rétracter de peur que le tempérament versatile ne se venge sur elle. Au contraire, elle écouta, le visage de marbre, la litanie de Charlotte sur la vie, combien celle-ci pouvait être courte, qu’elle ne servait à rien, qu’ils étaient voués à souffrir et à s’éteindre. Elle en vint même à la menacer. Est-ce qu’Eethaniel sentirait le danger qui se refermait, tel un filet, sur elle ? Non. Bien sûr, il n’avait pas cette capacité et elle n’aurait pas voulu qu’il l’aie, d’ailleurs. Les choses étaient bien mieux telles qu’elles étaient. Pour rien au monde, elle n’échangerait leur condition. Pour rien au monde, elle ne voudrait être une vampire. Le souffle étrange de l’immortelle empoisonna l’oxygène de Satine. Les pupilles dilatées de Satine restaient résolument fondues dans celles de Charlotte et elle put y lire la folie qui menaçait de prendre le pas sur le self-control du vampire. Irait-elle jusqu’à ôter la vie à Satine ? En était-elle à un tel point ? Satine se focalisa sur sa respiration, la gardant posée, du moins, dans la mesure du possible mais n’eut pas la capacité de réprimer le frisson de dégoût qui la traversa de part en part lorsque le doigt de Charlotte s’arrêta sur la veine bleutée qui courait sous sa peau douce et chaude, comparée à celle du vampire.
Charlotte n’allait pas la mordre, c’était certain, mais quand allait-elle stopper son avancée menaçante ? Parce qu’encore quelques minutes comme ça et Satine, par instinct de conservation, serait forcée de repousser le monstre pour ne pas que la terreur domine son centre nerveux.
L’entretien sembla se conclure sur le sujet qui les intéressait toutes les deux tellement ; la relation immorale qui unissait Satine à son frère.

« Tu n’as pas encore saisi ? C’est l’avantage d’être mortel, on profite de ce qui nous est offert, on se bat pour ce à quoi on tient alors que vous, qu’est-ce qui vous anime sinon la faim ? Vous êtes dépendant, éternellement. Crois-moi, je préfère mourir et aller en Enfer plutôt que d’essayer vainement de te faire comprendre quelque chose dont tu ne saisiras jamais l’ampleur tout simplement parce que l’abomination que tu représentes n’a pas été créée pour ça »

Tout en parlant, elle repoussa le poignet de Charlotte afin qu’elle cesse de faire pression sur sa peau.
Elle ne ferait pas usage de sa baguette magique, la gardant précieusement dans la poche de son uniforme émeraude mais il était temps pour elle de se retirer, avant qu’un nouveau drame ne vienne assombrir l’histoire d’Hogwarts, et cette fois-ci, le Spirit n’y serait pour rien.

« Tu peux chercher, fouiner, menacer autant que tu veux, cela m’est bien égal. Et tu peux aller demander à Eethaniel, si tu crois que ce sera plus fructueux, mais je pense que tu useras ta salive inutilement.. »

Marchant à reculons, Charlotte toujours trop proche d’elle, elle rejoignit la porte qu’elle n’aurait jamais dû franchir si inconsciemment et l’ouvrit, laissant l’air glacial s’immiscer dans la serre, épurant l’atmosphère de l’odeur étrange de l’éternelle. Ne prenant pas la peine de saluer son ennemie, Satine la fixa froidement jusqu’à ce que la porte soit close puis elle tourna les talons et s’éloigna rapidement, à la fois soulagée et inquiète de ce que l’avenir pourrait bien leur réserver.